
Une averse d’été
tambourine
sur la tête des autres.
Il doit encore s’agir
de quelque pluie factice
de cinéma
Aucune goutte n’atteint
ni le visage ni la peau de A.
A.? Quarante neuf ans
les yeux qui aimeraient
tant rejouer
foudre et tonnerre
et des pattes de héron
que le soir raccourcit
en attendant que
la nuit les guérisse
A. qui vit seul
mange seul
et marche aussi solitaire
que le héros inconnu
de la chanson de JJ Goldman
qu’il détestait plus jeune
et pour lequel il éprouverait
presque
une forme de tendresse
depuis M Pokora Maitre Gimms
et Black M
A. ?
Un type revenu d’à peu près tout
sans être jamais parti
très loin
qui rêve tout seul en écoutant
ses plays lists
Surtout quand le soir tombe
et que l’été revient s’endormir
comme un mourant sous
de vieilles lunes
bien vivantes
elles
A. qui a envie
d’en avoir le cœur net
met donc sur pause le morceau –
Nature is the law de Richard Ashcroft
parce que certaines intonations
évoquent Johnny Cash
et que le fantôme
d’un chœur Beach Boys
hante l’ensemble-
qu’il écoute désormais
son gros casque de « vieux-jeune »
vissé sur les oreilles –
depuis une semaine
A. répète inlassablement
à qui veut bien l’entendre :
« un vrai cadeau du ciel
ce nouveau portable
moderne… »
Avoir presque atteint le seuil
de la cinquantaine
toucher son premier I Phone
et s’esbaudir
devant tout un champs
de titres et d’albums
disponibles à l’infini
Oui c’est… A. –
et il remarque aussitôt
la rue ventousée
un peu plus bas
le régisseur général en train
de hurler un tas d’ordres
contradictoires
à ses assistants
et parmi eux ce gamin
d’une rousseur trop timide
ce gamin en train déjà
de se demander :
« comment ça se passe au théâtre
non parce que là c’est…compliqué… »
S’en veut-il ce gamin
d’avoir baisé la script
un matin de cantine à surveiller
pendant que le vigile
assistait au premier
accouchement de sa « meuf » ?
Tournera-t-il avant ses vingt-six ans
ce court métrage
où les lèvres d’une jeune
japonaise
piétinent brunement les restes
d’un hareng pomme à l’huile ?
Rien n’est moins sûr.
Ce gamin tout roux et trop
timide
doit bien se douter
qu’il ne va pas faire long feu
dans le métier
Non ?
Tant pis pour lui
c’est son problème…
En amont du torrent
que c’est toujours un tournage
A. reconnaît le réal’ à sa barbe branchée
Le réal’ qui donne ses dernières directives –
encore un génie qui change d’avis, d’axes,
de plans et de dialogues
toutes les dix minutes.
Pourquoi croyez-vous qu’Hollywood a inventé
un jour de Portes du Paradis
le métier de producteur exécutif ?-
à son chef op’
lequel s’empresse de dégainer son talkie-walkie…
Et les actrices qui fument leur clope
en répétant les malheurs
du sophisme.
A. fut un temps pas si lointain
aurait pu imaginer le dialogue
à suivre :
Ext nuit. Une rue. Une actrice qui débute
L’actrice débutante: – « Meeto mon cul, ouais !
Les metteurs en scène vont juste
nous demander poliment de nous désaper
poliment.
Et à la projection test
pfut la magie du ci-néé-mâââ
toutes nos politesses auront été
coupées au montage… »
Dix ans que A. a cessé
de vivoter
en pondant entre autres
des scènes de cul
forcément romantiques
dans des caisses Rossinante
forcément… Quoi au fait?
La télé c’est encore autre chose
Passons…-
Oui c’était donc une fausse pluie
inondant de manière parcellaire
le petit monde d’un tournage.
A. qui en a assez vu
remet le casque
et libère la voix
d’Ashcroft jusqu’au bistrot situé
tout en haut des pentes
de Belleville
C’est là que sa dernière ex
lui donnait rendez-vous
C’est là qu’il n’aura plus jamais
rendez-vous avec elle
A. salue poliment Akli
le serveur
que les gamins du coin
ont surnommé : « Monsieur Toris »
et puis s’empare poliment
du Libé du jour
en commandant sa Leffe
A.tourne les pages
par habitude
Ici…
« L’envolée du mercure se poursuit… »
Et là..
« Nuit de cauchemar pour les passagers
du Paris-Clermont
de 17h57… »
Un peu avant…
« L’état finance l’isolation
de vos sous-sols
Pensez-y un peu
avant de vous décider
à placer vos belles-mère
dans un village de caravanes… »
Plus loin…
« Dans le Morbihan
une sortie scolaire
vire au drame… »
A. ne peut s’empêcher
d’imaginer des titres à sa sauce
Comme…
« Projeté par le geyser
d’une bouche à incendie
sentimentale
un producteur musicien électro
et génie du son
se met à prêcher le diable blanc
puis se suicide
pendu à une boucle
qu’un beat très french touch redouble
en pinçant le pipeau gelé
de la nuit… »
Mouais…
A. tourne les pages du Libé du jour
en buvant sa Leffe
sans celle avec qui il avait pris
l’habitude
de se prendre passablement la tête
quand elle l’aimait encore
Et puis il s’arrête…
Sur un vrai titre et un article
où le journaliste écrit
pour de vrai
un véritable exercice d’admiration
pour le producteur le musicien électro
et le génie du son
qui vient de chuter d’un balcon
au point d’en mourir
Parce que oui
c’est écrit noir sur noir
mort sur mort
Philippe Zdar « le magnifique » –
ainsi twittera plus tard
Sébastien Tellier
qui sait tout ce que sa Ritournelle
entre autres
lui doit –
parce que oui Philippe Zdar
est bel et bien magnifiquement mort…
En sortant du bistrot
où son ex recommence
à lui manquer
un peu beaucoup… –
et il se doute bien, A.,que le souvenir
de « sa S.» s’en retournera sous peu
racler le matelas –
A. fait le constat suivant :
Phlippe Zdar « le magnifique »
dans cette rue
bien sûr
personne ne le connaît
et pourtant tout le monde sait qui c’est
Parce que tout le monde
dans cette rue
aujourd’hui et même à des kilomètres
de plays lists plus tôt
tout le monde a dansé sur MC Solaar
Cassius
Comme beaucoup de gens ont repris
en yaourt
les refrains de Phoenix et même
les jeunes gamins
qui surnomment le serveur Akli
« Monsieur Toris »
ont bien du entendre parler
des Beasties Boys
sinon à quoi ça servirait
leurs casquettes
et leur attirail fauché de gangsta ?
Oui oh mais quand même
tout le monde a bien du chialer
au moins une fois
sa marâtre de mère
en écoutant Cat Power…
Une fausse averse d’été
tambourine
sur la tête des autres
A. se dit que même au cinéma
la pluie décidément
c’est moche
comme noir et balcon
font un
et mort sur mort
fait deux
Nous sommes un soir de juin
et sa tristesse à lui est réalisée
sans trucage…
